Entre soleil, prix encore attractifs et qualité de vie enviée, l’Espagne occupe une place de choix dans les stratégies patrimoniales des Européens. Mais derrière les cartes postales de la Costa del Sol et les ruelles de Barcelone, une question demeure : où investir, à quel prix… et avec quel rendement réel, une fois les comptes faits ?
Dans cet article, je vous propose de traverser la péninsule ibérique comme le ferait un investisseur exigeant : les yeux rivés à la fois sur la beauté des lieux et sur la feuille de calcul.
Pourquoi l’Espagne reste un terrain de jeu privilégié pour les investisseurs
Avant de parler quartiers et prix au mètre carré, il est utile de comprendre ce qui fait encore de l’Espagne un marché singulier en Europe :
- Des prix toujours inférieurs à ceux de la France, de l’Allemagne ou des Pays-Bas dans de nombreuses régions, malgré la hausse de ces dernières années.
- Un attrait international structurel : tourisme puissant, retraités du nord de l’Europe, télétravailleurs, étudiants Erasmus… La demande locative ne repose pas sur un seul moteur.
- Un marché varié : on peut viser le rendement pur (villes moyennes, intérieurs) ou la valorisation patrimoniale et l’usage plaisir (côtes, grandes métropoles).
- Une fiscalité spécifique pour les non-résidents, parfois plus avantageuse, mais qui demande d’être bien accompagnée.
Reste à savoir où poser votre valise… ou plutôt votre compromis de vente.
Madrid, le cœur économique : stabilité et demande profonde
Madrid attire ceux qui cherchent la solidité plus que le folklore balnéaire. Capitale politique et économique, elle offre une demande locative continue, portée par :
- le secteur tertiaire et les sièges d’entreprises,
- les universités et les écoles de commerce,
- une population en croissance, jeune et mobile.
Niveau de prix (ordres de grandeur début 2024) :
- Quartiers centraux prisés (Salamanca, Chamberí, Justicia) : souvent entre 6 000 et 9 000 €/m² pour des biens de qualité.
- Zones plus périphériques bien connectées (Tetúan, Carabanchel, Vallecas) : souvent entre 3 000 et 4 500 €/m².
Rendements observés :
- Location longue durée “classique” : en général 3 à 4 % brut dans l’hyper-centre, parfois 4 à 5 % dans les arrondissements plus populaires.
- Colocation étudiante ou jeunes actifs : peut monter autour de 5 % brut, mais demande une gestion active et une rénovation adaptée (chambres bien dimensionnées, espaces communs optimisés).
Madrid conviendra à l’investisseur en quête de marché profond, liquide et résilient dans le temps, davantage qu’au chasseur de “coup” à très haut rendement.
Barcelone, entre désir et réglementation
Barcelone fait rêver… et inquiète. Ville magnétique, touristique, cosmopolite, mais aussi laboratoire de réglementations restrictives, notamment en matière de locations touristiques.
Niveau de prix :
- Quartiers centraux et côtiers (Eixample, Gràcia, Barceloneta…) : souvent entre 5 500 et 8 000 €/m² pour de beaux biens rénovés.
- Quartiers plus populaires ou excentrés (Sant Andreu, Nou Barris, certaines zones de Sants) : plutôt 3 000 à 4 500 €/m².
Rendements possibles :
- Location touristique : théoriquement très rentable, mais pratiquement verrouillée par les licences (plazas), très difficiles à obtenir. Acheter un bien déjà licencié devient presque un marché en soi, avec un prix surpayé.
- Location classique ou étudiante : souvent 3 à 4 % brut. En colocation bien pensée, vous pouvez espérer 4,5 à 5 %, selon l’emplacement et la qualité du logement.
Barcelone est un marché où la valorisation patrimoniale et l’effet “adresse prestigieuse” prennent parfois le pas sur le rendement immédiat. Un couple de Lyonnais que j’ai accompagnés y a acheté un 60 m² près de la Sagrada Família : 340 000 € à l’achat, 1 300 € de loyer mensuel, soit à peine 4,5 % brut. Mais la valeur du bien a progressé, et ils y passent un mois chaque hiver. Tout est affaire de priorité.
Valence, l’équilibre subtil entre qualité de vie et rendement
Valence s’est imposée ces dernières années comme une alternative séduisante à Barcelone : ville côtière, dynamique, moins saturée et encore relativement abordable.
Niveau de prix :
- Centre historique et quartiers recherchés (Ciutat Vella, Ruzafa, Eixample) : autour de 3 000 à 4 500 €/m² pour des biens en bon état.
- Quartiers en transformation ou périphériques : parfois entre 2 000 et 3 000 €/m².
Rendements envisageables :
- Location à l’année : souvent autour de 4 à 5 % brut, parfois un peu plus dans des quartiers en devenir.
- Location moyenne durée (3 à 11 mois) pour télétravailleurs, étudiants étrangers ou travailleurs en mission : un axe en plein essor, avec des loyers supérieurs à la location classique.
Valence représente une porte d’entrée intéressante pour un premier investissement en Espagne : marché lisible, demande diversifiée (tourisme, étudiants, actifs), prix encore raisonnables.
Costa Blanca, Costa del Sol : la tentation balnéaire
C’est l’image la plus fréquente de l’investissement en Espagne : appartement avec vue mer, palmiers, piscine de résidence, et plein de réservations Airbnb. La réalité est plus nuancée.
Costa Blanca (Alicante, Torrevieja, Benidorm, etc.) :
- Prix moyens souvent entre 1 800 et 3 000 €/m² selon la proximité de la mer et l’état du bien.
- Villes comme Alicante combinent usage personnel et location, avec une vie locale active à l’année.
Costa del Sol (Málaga, Marbella, Fuengirola, Estepona…) :
- Large fourchette : de 2 000 €/m² dans certaines zones moins cotées à plus de 6 000 €/m² dans les secteurs premium de Marbella ou Puerto Banús.
- Málaga ville, au-delà de la station balnéaire, est devenue un pôle culturel et économique, avec une demande locative soutenue toute l’année.
Rendements réalistes :
- Location saisonnière bien gérée : on entend parfois des promesses de 8 à 10 % brut. En pratique, si vous tenez un vrai calendrier de coûts (frais de gestion, ménage, plateforme, vacance, charges de copropriété élevées), 5 à 7 % brut bien maîtrisés sont déjà une belle performance.
- Location longue durée (12 mois) : plus souvent autour de 3,5 à 5 % brut, mais avec moins de travail.
L’élément clé sur ces zones balnéaires : ne pas sous-estimer la saisonnalité et la concurrence. Un appartement sans terrasse, à 20 minutes à pied de la plage, n’aura pas le même pouvoir d’attraction qu’un bien très bien situé, même à prix identique au mètre carré.
Baléares et Canaries : îles désirables, marchés spécifiques
Majorque, Ibiza, Tenerife ou Gran Canaria évoquent immédiatement le plaisir. Pour l’investisseur, ces îles présentent un double visage.
Les Baléares :
- Prix souvent élevés, surtout à Ibiza et dans les secteurs chic de Majorque : fréquemment 5 000 à 8 000 €/m², voire davantage pour les propriétés d’exception.
- Marché très international, avec forte proportion d’acheteurs étrangers.
- Réglementations strictes sur la location touristique, licences rares, volonté de contenir le tourisme de masse.
Les Canaries :
- Prix plus accessibles, selon les îles et les zones : souvent 2 000 à 3 500 €/m² pour de bons biens dans des zones recherchées.
- Climat stable, attractif toute l’année, ce qui adoucit la saisonnalité locative.
Sur ces îles, le projet doit être clairement posé : usage personnel régulier, valorisation patrimoniale, diversification géographique. Chercher uniquement le rendement maximal sur Airbnb, sans tenir compte des réglementations locales, est la meilleure façon de s’exposer à des déconvenues.
Villes moyennes et intérieur de l’Espagne : là où se cachent les rendements
Pour ceux qui regardent d’abord le ratio prix/loyer, certaines villes moyennes espagnoles offrent des opportunités intéressantes :
- Murcie, Saragosse, Valladolid, Alicante (ville), Séville, ou encore Grenade avec sa forte population étudiante.
Prix moyens :
- Parfois entre 1 500 et 2 500 €/m² pour des biens bien situés.
- En s’éloignant légèrement du centre, on trouve encore des biens en dessous de 1 500 €/m².
Rendements possibles :
- Location longue durée : souvent 5 à 6 % brut, parfois davantage sur des produits optimisés ou des petits budgets très bien ciblés.
- Colocation étudiante : peut atteindre 6 à 7 % brut, à condition de bien connaître le marché local.
En revanche, ces marchés sont parfois moins liquides à la revente et moins connus des acheteurs étrangers. Ils s’adressent plutôt à des investisseurs prêts à faire un travail d’étude de marché approfondi, voire à s’appuyer sur une agence locale expérimentée.
Quel budget, pour quelle stratégie de rendement ?
Pour mieux se repérer, voici quelques grandes logiques d’arbitrage, à manier comme des repères et non comme des règles absolues :
- Budget autour de 150 000 €
- Intéressant pour : appartement T2 ou petit T3 dans une ville moyenne (Grenade, Murcie, Alicante), ou bien un T1/T2 en périphérie d’une grande ville.
- Objectif : rendement brut de 5 à 6 % possible, en ciblant des quartiers avec demande locative stable.
- Budget autour de 250 000 €
- Intéressant pour : T2/T3 à Valence, bon T2 à Málaga, appartement correct sur la Costa Blanca ou Costa del Sol, parfois T2 à Madrid dans un quartier secondaire.
- Objectif : combinaison rendement (4 à 5 %) + potentiel d’usage personnel, selon la localisation.
- Budget 400 000 € et plus
- Intéressant pour : secteurs premium de Madrid ou Barcelone, biens avec vue mer prisés, emplacement exceptionnel à usage mixte (plaisir + locatif).
- Objectif : sécurisation patrimoniale, avec rendement plus modeste (3 à 4 %), compensé par la qualité du bien et de l’adresse.
La question à se poser, en toute honnêteté, est simple : cherchez-vous d’abord une rentabilité, un pied-à-terre, ou un mélange des deux ? La réponse façonnera votre carte de l’Espagne bien plus sûrement que la météo.
Points de vigilance juridiques et fiscaux pour un investisseur étranger
Investir en Espagne ne se résume pas à signer un compromis en bord de mer. Quelques éléments à ne pas négliger :
- NIE (Número de Identidad de Extranjero) : indispensable pour acheter, ouvrir un compte en banque, etc. À demander en amont.
- Impôts pour les non-résidents :
- Impôt sur les revenus locatifs (IRNR) : taux et règles variables selon que vous êtes résident de l’UE ou non, avec déductions possibles pour les résidents UE/EEE.
- Taxe sur la plus-value à la revente, à anticiper dans vos calculs de TRI.
- Licences de location touristique :
- Fonctionnent par communauté autonome, parfois par ville, voire par quartier.
- Beaucoup de zones sont saturées ou fermées à de nouvelles licences : mieux vaut vérifier avant l’achat plutôt que “espérer” un changement de réglementation.
- Financement :
- Les banques espagnoles prêtent généralement aux non-résidents, mais souvent avec un apport plus conséquent (30 à 40 % du prix) et des conditions variables.
- Comparer un financement français (hypothèque sur votre patrimoine local) à un financement espagnol peut changer la rentabilité nette.
Un bon avocat local, parlant votre langue, et un fiscaliste ayant l’habitude de travailler avec des non-résidents valent largement quelques points de rendement immédiat en tranquillité gagnée.
Comment structurer sa démarche d’investissement en Espagne
Pour éviter de se laisser guider uniquement par le coup de cœur (ou par des promesses commerciales trop flatteuses), une démarche méthodique s’impose :
- Clarifier votre objectif
- Rendement locatif maximal, diversification patrimoniale, futur pied-à-terre, retraite au soleil, transmission…
- Horizon de détention : 5, 10, 20 ans ? Cela influence fortement le choix de la zone.
- Choisir 2 ou 3 zones cibles maximum
- Plutôt qu’un “je regarde partout en Espagne”, concentrez vos recherches sur quelques marchés que vous pouvez vraiment comprendre.
- Étudier les loyers avant les prix
- Comparer les annonces locatives réelles (et pas seulement les projections théoriques) sur vos quartiers ciblés.
- Intégrer tous les coûts
- Impôts, charges de copropriété (souvent élevées dans les résidences avec piscine), frais de gestion, entretien, frais bancaires, IRNR.
- Visiter sur place
- Observer l’environnement réel, le bruit, la proximité des services, la typologie de population. Un quartier peut sembler idyllique sur Google Maps et être désert neuf mois par an.
Un investisseur français que j’ai rencontré à Valence résumait son expérience ainsi : “La plus grosse erreur, ce n’est pas de se tromper de rue. C’est de se tromper de stratégie.” L’Espagne offre une mosaïque de marchés : encore faut-il choisir celui qui colle à votre histoire.
Qu’il s’agisse d’un studio à Grenade, d’un appartement lumineux à Valence ou d’un pied-à-terre à Málaga avec vue sur la mer, votre investissement ibérique peut devenir bien plus qu’une ligne de plus dans un portefeuille. Avec la bonne information, un peu de rigueur et une pointe d’audace, la péninsule se transforme en terrain de jeu raisonné, où chaque mètre carré raconte à la fois un rendement et un art de vivre.

